Nouveau paradigme, normes et fluctuations
Les rendements des bons du Trésor des Etats-Unis, en particulier ceux du 2 ans et du 10 ans sont à la base de tous les marchés.
Dans une situation normale, c’est à dire avec une croissance du PIB à son potentiel optimal avec une inflation sous-jacente dans la zone acceptable aux alentours de 1,5 % (inférieure à 2 % mais supérieure à 1 %), le 10 ans devrait fluctuer dans les 4 %, de préférence dans une bande comprise entre 4,0 % et 4,5 % pour assurer une rémunération réelle des capitaux investis autour de 2,5 %.
Jadis, c’est à dire au XX° siècle (!), la courbe des taux devait être pentue avec des taux courts inférieurs à ceux du 10 ans de 50 à 100 points de base, donc fluctuant dans le haut des 3 %, dans une bande de 3,5 % à 4,0 %.
Les taux courts étant alignés sur ceux de la Fed, les membres du FOMC pouvaient piloter le rythme de la croissance en relevant ou en abaissant leur taux de base par rapport à cette norme.
Quand les taux étaient élevés (au dessus de la norme), les entreprises, qui n’avaient généralement pas assez de trésorerie pour s’autofinancer, renonçaient à emprunter, donc à investir, ce qui ralentissait la croissance.
Inversement, quand les taux étaient bas (en dessous de la norme), elles étaient incitées à emprunter pour financer leurs investissements ce qui stimulait la croissance du PIB.
Depuis la fin des années 90, les entreprises américaines ont considérablement augmenté leurs bénéfices et elles en ont profité pour se désendetter et se recapitaliser si bien que beaucoup d’entre elles n’ont plus besoin d’emprunter pour investir. Elles sont donc moins sensibles aux variations des taux de la Fed.
Seuls les familles américaines qui empruntent (en particulier pour financer l’achat de leur logement) dépendent des taux de la Fed qui conditionne les marchés de l’immobilier et de la consommation, donc une grande partie de la croissance.
Les Etats-Unis sont ainsi entrés dans un nouveau paradigme dans lequel les marchés entre les entreprises (le B2B, Business-to-business) sont de plus en plus libres : ils dépendent de moins en moins de la politique monétaire de la Fed.
Graphique 1 :
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Le graphique 1 montre bien que le 10 ans fluctuait normalement autour de 4 % à partir du mois d’août 2002 jusqu’en juin 2003 (qui marque la fin des incertitudes liées à la guerre en Irak), et ensuite, jusqu’à fin janvier 2006, dans la bande entre 4,0 % et 4,5 % car les marchés ont bien anticipé le retour d’une forte croissance grâce aux taux de la Fed qui étaient très bas.
A partir du 31 janvier 2006, dernier FOMC présidé par Alan Greenspan, tout s’est mal passé : la Fed a relevé ses taux trop haut à 4,5 %, au dessus de leur neutralité de 4,25 % ce qui a fait sortir le 10 ans de sa bande normale de fluctuation pour suivre les taux de la Fed jusqu’à des sommets irréels de 5,25 % depuis fin juin 2006 jusqu’à mi juin 2007.
Pour soutenir ces taux aussi élevés, Ben Bernanke a multiplié les déclarations pour justifier l’injustifiable : des taux très nettement supérieurs à la norme, ce qui devait provoquer inévitablement une chute de la croissance du PIB et un collapsus boursier avec pour objectif (inavoué) une baisse de l’inflation pour la faire revenir dans sa bande normale en dessous de 2 %.
Mi juin 2007, les marchés ont bien compris que le collapsus allait se produire : les capitaux ont commencé à quitter les marchés actions pour se réfugier sur l’obligataire public.
En conséquence, le 10 ans parti de son plus haut de 5,25 % est alors brusquement retombé jusqu’à son plus bas atteint le 23 janvier (grâce à la Générale et à la Fed).
La courbe du 2 ans montre que les gérants ont sur-pondéré les obligations de 2002 jusqu’en juin 2005 car ils ne pensaient pas que l’économie allait repartir aussi fortement (ce qui était une erreur) au lieu d’investir en actions dont les cours allaient grimper.
En effet, le rendement du 2 ans était anormalement bas (les prix des contrats étaient donc anormalement hauts), l’écart entre le 10 ans et le 2 ans restant très important pendant toute cette période.
Ensuite, de juillet 2005 à juillet 2007, le 2 ans est resté collé au 10 ans et au taux de la Fed à des niveaux anormalement haut, les prix des contrats étaient donc anormalement bas car les gérants ont sur-pondéré les actions… juste avant que se produise le collapsus !
Erreur fatale. Panique.
Le 2 ans, parti de très haut, est tombé très bas en dessous de 2 % jusqu’au plongeon de la Générale du 23 janvier, ce qui signifie que les gérants ont alors sur-pondéré les obligations (qui sont le refuge traditionnel en de telles circonstances)… dont les rendements vont remonter avec la reprise de la croissance qui s’annonce très forte.
Graphique 2 :
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Les capitaux vont sortir de l’obligataire public (les prix des contrats vont baisser et les rendements du 2 ans et du 10 ans vont remonter dans leur bande de fluctuation normale) pour se porter sur les actions dont les cours (actuellement fortement sous-évalués) vont encore grimper avec la forte croissance qui s’annonce pour le second semestre.
En effet, la baisse des taux de la Fed commencera à produire ses effets positifs à partir du mois d’avril (et surtout à partir du mois d’août après la baisse des taux à 3 % en janvier) et le plan de relance gouvernemental sur la consommation à partir du mois de juin.
La connaissance des problèmes économiques (financiers et monétaires) joue un rôle important et alimente la spéculation gagnante…
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Le nouveau paradigme de ce XXI° siècle.
Ce XXI° siècle est caractérisé par une abondance du capital accumulé, d’abord dans les entreprises américaines qui sont maintenant surcapitalisées et sous-endettées alors qu’elles manquaient cruellement de capitaux au siècle précédent (M3-M2 représentait encore moins de 15 % du PIB en 1997), et ensuite dans le patrimoine des Américains (en immobilier et en valeurs mobilières) grâce au niveau très élevé de productivité des entreprises et des administrations.
Les taux d’intérêt devraient donc être à un niveau relativement bas (à condition que l’inflation soit jugulée) et la courbe des taux devrait être très plate car la Fed ne doit maintenir ses taux à un niveau relativement élevé pour ne pas laisser l’inflation repartir.
Dans ces conditions les membres du FOMC devraient éviter les variations de grande ampleur qui ont été nécessaires pour faire baisser l’inflation depuis 1980.
Les taux de référence devraient donc fluctuer durablement dans les bandes restreintes définies ci-dessus.
Cependant, des considérations stratégiques et le comportement plus ou moins rationnel des consommateurs et des marchés introduisent des risques et une volatilité dangereuse dans un monde très ouvert et interdépendant maniant des masses de capitaux considérables à tout moment.
Ce nouveau paradigme durera tant que les prix des produits exportés par les pays émergents asiatiques procureront un avantage important dans les pays développés où il permettent de contenir l’inflation.
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